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L’IDÉOLOGIE DU SYSTÈME PARTISAN N’EST-ELLE PAS TROMPEUSE ?


Brève analyse sur l’absence de référence constitutionnelle et légale du concept de système partisan

 

Résumé. La Cour constitutionnelle ne pourrait, à l’occasion de sa décision DCC 24-040 du 14 Mars 2024, pour justifier la constitutionnalité des critères particulièrement rigides de parrainage des candidats à l’élection présidentielle et du seuil d’éligibilité des listes de candidats aux élections législatives contenus dans la nouvelle loi électorale, invoquer le concept de système partisan sans mettre en souffrance l’intelligibilité et la pertinence de sa décision, et ainsi, sans en éprouver la qualité. Aussi, l’intelligibilité des décisions de justice, leur caractère d’être comprises sans difficulté, constitue-t-elle l’un des critères d’une bonne justice[1].

 

Le concept de système partisan a été employé par la Cour constitutionnelle du Bénin dans sa décision DCC 24-040 du 14 Mars 2024.

A cette occasion en effet, pour soutenir la constitutionalité de l’article 132 nouveau avant dernier alinéa de la loi électorale 2024-13 ( qui dispose qu’ « Un député ou un maire ne peut parrainer qu’un candidat membre ou désigné du parti sur la liste duquel il est élu »), la Cour constitutionnelle a argumenté que ce texte « ne met pas fin à la liberté de parrainer, mais fixe le cadre dans lequel elle s’exerce, conformément à l’esprit du système partisan qui structure la compétition électorale »[2].

 

Ce qui renvoie à l’idée que le système partisan se rapporterait au fonctionnement interne des partis politiques. On verra plus loin qu’il n’en est rien.

 

Plus loin, sous les motifs au moyen desquels la Cour a jugé conformes à la Constitution le nouveau seuil d’éligibilité des listes de candidats aux élections législatives et les nouveaux critères de parrainage des candidats à l’élection présidentielle contenus dans la nouvelle loi électorale ci-dessus visée, le concept de système partisan a été encore repris dans deux paragraphes : dans le premier, la cour a indiqué que « ces dispositions[3] n’interdisent pas au législateur d’édicter des mesures tendant à la mise en œuvre de la politique générale de l’État, en ce qui concerne la transparence et l’égalité d’accès aux fonctions électives ainsi que l’assainissement du système partisan… »[4] ; dans le second paragraphe, la Cour a soutenu que « ces critères nécessaires au renforcement du système partisan, afin de favoriser l’avènement de partis politiques stables et durables, véritable école, d’où éclosent et se développent des vocations à la direction des affaires publiques, ne sont ni inappropriés, ni disproportionnés »[5].

 

Mais ce concept de système partisan repris des discours politiques par la Cour constitutionnelle ne se retrouverait en tant que tel ni dans la Constitution du Bénin, ni dans la Loi n° 2018-13 du 17 septembre 2018 portant charte des partis politiques en République du Bénin.

 

En effet, d’une part, l’article 5 de la Constitution qui n’a pas défini la notion de parti politique, dispose seulement que « Les partis politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent librement leurs activités dans les conditions déterminées par la charte des partis politiques. Ils doivent respecter les principes de souveraineté nationale, de la démocratie, de l’intégrité territoriale et la laïcité de l’État ».

 

D’autre part, l’article 2 al. 1er de la Loi n° 2018-13 du 17 septembre 2018 portant charte des partis politiques dispose que « Les partis politiques sont des groupes de citoyens, partageant des idées, des opinions et des intérêts communs et qui s’associent dans une organisation ayant pour objectif de conquérir et d’exercer le pouvoir, et de mettre en œuvre un projet politique ».

 

Ainsi qu’il a été rappelé ci-devant, la Constitution prescrit expressément que les partis politiques « se forment et exercent librement leurs activités dans les conditions déterminées par la charte des partis politiques ». La loi portant charte des partis politique constitue donc, aux termes de la Constitution elle-même, la source principale et exclusive notamment des activités des partis politiques et donc de leur relation entre eux.

 

Dès lors, n’étant ni prévue par la Constitution, ni par la loi organique que constitue la charte des partis politiques à laquelle renvoie la Constitution, le concept de système partisan ainsi que toutes les théories développées sous son couvert devraient-ils bénéficier d’une protection de la part de la Cour constitutionnelle en l’absence de tout contenu constitutionnellement connu, ou devraient-ils constituer une référence à la lumière de laquelle la Cour constitutionnelle pourrait justifier la constitutionalité d’une loi électorale ?

 

Alors, qu’est-ce que  le système partisan encore appelé système de partis, pour que selon la Cour constitutionnelle, son esprit et son renforcement puisse justifier la constitutionnalité des critères particulièrement rigides de parrainage des candidats à l’élection présidentielle et du seuil d’éligibilité des listes de candidats aux élections législatives contenus dans la nouvelle loi électorale ?

 

Pour cerner la notion, nous nous sommes référé à un auteur italien dont l’ouvrage fait mondialement autorité sur la question. L’on a pu par exemple écrire à ce propos que « Tout politiste qui s’intéresse aux dynamiques des systèmes de partis se doit de se positionner face aux conclusions et à la très influente typologie élaborée par Giovanni Sartori[6] il y a presque quarante ans, dans l’ouvrage ‘’Partis et systèmes de partis’’ couramment considéré comme le livre le plus influent sur le sujet »[7].

 

Selon en effet Giovanni Sartori, « Les partis font (…) ‘’système’’ seulement quand ils représentent des parties ; et un système partisan est précisément le système des interactions résultant de la compétition inter-partisane »[8].

 

Le concept renverrait également à des réalités dépassant même le cadre des rapports entre partis politiques. Envisagé en effet du point de vue des électeurs, le système partisan serait également « un espace complexe qui leur fournit un ensemble de repères essentiels pour se situer en politique, se forger une opinion sur des sujets compliqués et, le moment venu, faire des choix et voter »[9].

 

Par ailleurs, dans la mesure qu’il s’agirait principalement des interactions entres partis politiques, la typologie des systèmes partisans est retenue, selon certains auteurs, suivant deux principaux critères : « le nombre de partis pertinents (tous ceux ayant un pouvoir de coalition ou de chantage), et la distance idéologique séparant ces partis, cruciale pour déterminer la direction de la compétition »[10]. En outre, à partir d’une analyse empirique des systèmes partisans, d’autres auteurs ont pu conclure qu’il existe en réalité cinq grandes dimensions pour catégoriser les systèmes partisans occidentaux : « la fractionnalisation, (nombre et taille relative des partis) ; l’orientation fonctionnelle (c’est-à-dire les clivages sur lesquels se sont bâtis les partis, avec, notamment la question de la présence des partis ayant une origine ethnique ou religieuse) ; la polarisation (distance idéologique entre les partis sur l’échelle gauche – droite) ; le degré de radicalité (la force des partis anti-système – alors essentiellement l’extrême gauche) ; la volatilité (variation des résultats des partis d’une élection à l’autre) ».

 

Il n’existerait donc pas un système partisan, mais plutôt « différents types de système partisan »[11].

 

Cela dit, outre le fait que l’on a pu relever de nombreuses « difficultés liées aux approches classiques du concept du système partisan »[12], dans la mesure où il s’agit d’étude empirique jugée ambiguë[13] d’interaction entre partis politiques, le concept de système partisan ne renverrait pas à une théorie déterminée et précise commandant l’activité des partis politiques dans un sens comme dans un autre, où générant des règles ou des principes devant régir l’éligibilité de candidats de partis politiques. Nous sommes en réalité sur le champ du tout probable et de l’imprévisible.

 

Mais cette interaction, lorsqu’elle est invoquée, c’est pour l’étudier et en comprendre le dynamisme. Il s’agit donc d’un concept descriptif et non normatif. L’on a indiqué à cet égard, qu’« au travers de la notion de système partisan, c’est le fonctionnement d’un système de la représentation politique (ou de délégation) qui est étudié »[14].

 

Dans ces conditions, les notions d’« esprit du système partisan », ou de « renforcement du système partisan », outre le fait qu’elles ne recouvriraient aucune réalité constitutionnellement protégée, ne renverraient à rien de précis qui pourrait, même de loin, constituer la justification de la constitutionnalité d’une loi. Il est en d’autant plus assurément ainsi que la charte des partis politiques n’a, pour traduire la volonté du législateur de conduire à la formation de grands partis politiques, eu recours qu’aux modalités de création desdits partis. C’est en cela que réside la réforme de la constitution des partis politiques dans notre pays. Ladite charte, source constitutionnellement suprême du fonctionnement des partis politiques, n’impose donc rien en ce qui concerne les relations entre les partis politiques. Elles doivent d’ailleurs demeurées libres.

 

La Cour constitutionnelle ne pourrait donc, à l’occasion de sa décision DCC 24-040 du 14 Mars 2024, pour justifier la constitutionnalité des critères particulièrement rigides de parrainage des candidats à l’élection présidentielle et du seuil élevé d’éligibilité des listes de candidats aux élections législatives contenus dans la nouvelle loi électorale, invoquer ce concept de système partisan sans mettre en souffrance l’intelligibilité et la pertinence de sa décision, et ainsi, sans en éprouver la qualité.

 

 

                                                                                    Ayodélé AHOUNOU

 

                                                                                                Avocat

 



[1]Dans un Discours prononcé à l’occasion de la Célébration des vingt (20) années du Tribunal de première instance des Communautés européennes placée sous le thème « La qualité de la justice », Monsieur Jean-Marc SAUVÉ, alors Vice-président du Conseil d’Etat français, a mis en évidence sept (7) critères de la qualité de la justice dont « l’intelligibilité des décisions rendues » ; Cf. également, le cycle de conférences organisées en 2020 par l’Association des doctorants et docteurs de l’Institut Maurice HAURIOU en France, Association des Doctorants et Docteurs de de l’Institut Maurice Hauriou (ADDIMH), « L’accessibilité des/aux décisions de justice », JDA, 18 nov. 2019, 16 déc. 2019, 20 janv. 2020 ;  cf. les travaux du VIIème Congrès de l’Association des Hautes Juridictions de Cassation des pays ayant en partage l’Usage du Français (AHJUCAF) tenu à Cotonou du 30 juin au 1er juillet 2022 sur le thème : « La motivation des décisions des cours suprêmes judiciaire – Dire le droit et être compris » et la déclamation de Me Ayodélé AHOUNOU intitulée « Recours en illisibilité, en inintelligibilité, en inaccessibilité et en réécriture de décision de cour suprême » prononcée lors de la cérémonie d’ouverture.

[2]– Cf. pp. 12-13 de la décision DCC 24-040 du 14 mars 2024.

 

[3]– La Cour fait ici probablement allusion (même s’il est vrai de façon peu intelligible) aux dispositions des articles 81 et 153-1, alinéa 2 de la Constitution fixant le « seuil national » comme seuil d’éligibilité des listes de candidature aux élections législatives.

 

[4]– Cf. p. 15, 3e paragraphe de la décision DCC 24-040 du 14 mars 2024.

 

[5]– Cf. p. 15, 5e paragraphe de la décision DCC 24-040 du 14 mars 2024.

[6]– Décédé le 4 Avril 2017, Giovanni Sartori fut, entre autres, professeur en histoire de la philosophie moderne et doctrine de l’État de l’université de Florence et professeur émérite à New-York.

 

[7]–  Camille Bedock. « Compte rendu signé “ Giovanni Sartori, Partis et systèmes de partis : un cadre d’analyse ” ». Revue Française de Science Politique, 2013, 63 (3-4), pp.711-713. L’on a pu également affirmer que « tant en termes de classifications et de typologies qu’en termes de théorie générale, il n’y a vraiment rien eu de remarquable depuis ‘’Parties and Party systems’’ ; et en ce sens G. Sartori a vraiment mis fin au débat » (Peter Mair, « Volumes of influence », ECPR News, 10 (2), 1999, p. 30-31, cité par C. Bedock, article précité ; cf. également Nicolas Sauger, « Les systèmes partisans en Europe : équilibre, changement et instabilité », Revue internationale de politique comparée, 2007, 14 (2), pp.229 – 241.

 

[8]– Giovanni Sartori, Parties and Party Systems : a Framework for Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1976, pp. 43-44, cité par Nicolas Sauger, article précité, p. 230 ; cf. la version traduite de l’ouvrage : Giovanni Sartori, Partis et systèmes de partis : un cadre d’analyse. Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles (Fondamentaux), 2011, p. 84, cité par C. Bedock, article précité,

 

[9]Vincent Tiberj, Florence Haegel (dir.), Partis politiques et système partisan en France, éd. Science PO, Les presses, 2007, pp. 287-319, consulté sur ttps://www.cairn.info/partis-politiques-et-systeme-partisan-en-france-

 

[10]– Cf sur ces critères, Camille Bedock, article précité.

 

[11]– Nicolas Sauger, article précité, p. 231.

[12]– Nicolas Sauger, article précité, p. 234

 

[13]– Ibid., p. 233.

 

[14]– Ibid., p. 235.

 

Comments

  • Elvis ATCHE

    9 mai 2024 - 10:45 am

    Telle une lampe qui éclaire la nuit le chemin, édifiant article… À travers un questionnement scientifique, on peut naviguer sans crainte sur les vagues qui font découvrir pour une fois les vraies nuances entre partis politiques et systèmes partisans, expressions qui semblent assez flous depuis que les gens en parlent sous nos cieux.
    Aujourd’hui, avec cet article, on peut déjà se situer, on peut déjà s’interroger de savoir si nous avons la bonne conception et si nous sommes dans la bonne direction ou pas.
    Le système partisan ou de partis paraît n’avoir eu ici le succès tant escompté à sa naissance. Poussé mordicus pour être un système à deux « branches » ou partis lors des élections ayant suivi sa mise en branle dans notre pays, nous avons, face à ce système, atterri aujourd’hui dans un mécanisme à plusieurs partis, tel un rétropédalage. En dépit de la récente révision de notre loi fondamentale, nous pourrions regretter que cette préoccupation n’en fasse pas partie. Pour preuve, la cour constitutionnelle n’aurait pas pu se référer à une disposition constitutionnelle ni même à la charte des partis politiques en vigueur pour appuyer sa décision, alors même que cette loi organique qu’est la charte des partis politiques devrait constituer le premier document devant régir le fonctionnement des partis politiques.

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